Conte de Noël
« Allez, dépêchez-vous ! Moins on y mettra de temps, plus
vite on sera de retour à l’intérieur ! »
Grommelant et renfrogné, Kyle se dirigeait d’un pas toujours lent derrière
le serre, près du petit potager où s’était retrouvée la classe.
Dehors, la pluie avait redoublé d’intensité et ni manteaux, ni écharpes en
laine, ni un gants triple épaisseur ne purent empêcher l’eau de s’infiltrer et
le froid de les gagner.
« Regardez bien les petits boutons à l’embranchement, ils sont appelés
bourgeons axillaires et… »
Kyle n’écoutait plus ce que le professeur racontait. Il ne voyait plus rien
à travers se lunettes, ses cheveux lui collaient au front et pour tout dire,
cela ne l’intéressait pas vraiment. Au-delà de ses lunettes, rien en Kyle ne
pouvait l’associer à un bon élève. Calme, ce n’était pas le problème, il
l’était. Et peut être un peu trop au goût de certaines personnes. «
Investit toi ! » lui répétait inlassablement sa professeur de
littérature ; « Aide moi un peu et lâche se bouquin ! » lui
lançait chaque jour sa mère, dans l’espoir qu’il quitte sa chambre pour autre
chose que le repas. Tout ce qu’ils recevaient, c’était un regard morne et
ennuyé, avant d’être complètement oubliés.
Il leva sa tête, jetant un regard furtif vers le ciel. Les nuages, d’un gris
uniforme, ne semblaient pas avoir l’intention de bouger. Il reçut une tape sur
le crâne qui l’obligea à revenir au niveau terrestre, cherchant à savoir qui
lui avait fait ça. Une jeune fille, Mathilde, s’il se souvenait bien, le
regardait avec un rictus moqueur.
« Tu ferais bien de suivre au lieu de rêver. Toi qui n’aimes pas être à
l’intérieur, profite. »
Et c’était vrai. Il tenait les salles de classe en horreur et cette escapade
organisée lui faisait le plus grand bien. Raison de plus pour ne pas écouter.
L’ignorant complètement, il partit en sens inverse vers le petit bassin qui
abritait quelques carpes. Les poissons devaient être cachés dans les
profondeurs car il n’en vit aucun. On n’entendait que le clapotis de l’eau et
le mouvement à la surface faisait vaciller dangereusement les feuilles de lotus
qui avaient réussi à survivre dans leur région. Il était presque certain qu’on
leur avait jeté un sort de concentration solaire. La botanique n’était
décidément pas son fort.
***
« Magnifique ! »
C’était tout juste. À peine avait-elle eut le temps de placer le dernier
accessoire que la sonnerie retentissait dans l’établissement, bientôt submergée
par le grondement assourdissant des raclements de chaises et des pas des élèves
pressés. Elle ne resta cependant pas seul très longtemps, rejoint par sa
meilleure amie, Sophie.
« Wouah ! Elle est vraiment superbe ! Quelle chance tu as eut d’avoir raté
le cours d’histoire ! Dorovsky a passé un quart d’heure à nous faire des
recommandations pour l’examen. »
Elle lui lança un sourire amusé. Toujours de bonne humeur, sa Sophie. Oui,
en effet elle avait eut de la chance. En même temps, tout le monde aurait put y
accéder, il fallait juste se présenter au concours… Mais avec les vacances de
Noël approchant, les gens semblaient soudainement occupés par on ne savait
quoi. À croire que la réalisation de crèche fait fuir.
On lui avait conseillé de l’installer dans le hall d’entrée, pour qu’elle soit
vue de tous. Elle n’avait pas trop envie de l’abandonner, mais elle ne put
résister aux mains de son amie qui la tiraient vers la cour Ovale, rejoindre
leurs camarades, tandis qu’une classe passait par la grande porte, mouillée et
frigorifiée, de retour du jardin.
***
« Raah…enfin parties ! Je croyais qu’elle n’allait jamais arrête de me
tripoter !
- Oh, Jo’, tu exagères : On est là pour l’occasion, autant faire bonne figure.
- Ouais, ouais, je sais ! Mais quand même, tu l’as remarqué ! Je suis si peu
présent qu’on ne sait jamais où me mettre ! Un coup par-ci, un coup par là ! Je
vais finir par perdre mes couleurs !...Et fait moi taire ce mioche ! Quelle
idée de le mettre dans un lit de paille, je vous jure.
- Pff…toujours là pour te faire remarquer. Contente toi un peu de ce qu’on
t’offre… »
***
Il était resté là, prostré, devant cette crèche. Sans savoir pourquoi elle
lui avait tapé dans l’œil, sans être particulièrement exceptionnelle. C’était
une crèche aux proportions acceptables, du plus pur style classique : une étable
au vieilles poutres poussiéreuses, un âne à la belle robe grise, deux jument de
trait, un mouton à la laine grasse et profonde, un beau bébé bien grassouillet
allongé dans son berceau, entouré de ses parents, émus et souriants.
Franchement, il n’y avait rien à redire. Mise à part peut être le visage du
bébé, déformé par les pleurs, celui de ses parents, semblable à celui de la
colère conjugale, où encore le concert de braiement, de hennissements et de
bêlements que Kyle entendait parfaitement d’où il se trouvait.
Le visage encore ruisselant de pluie, il enleva son écharpe trempée et laissa
échapper un souffle vaporeux. La cloche de la reprise des cours retentit tandis
qu’il essayait de détacher son regard de la crèche.
« Elle te plaît ? »
Il sursauta. Il n’avait entendu personne arriver, pas même le « je te
rejoins » qu’elle avait lancé à Sophie..
« Je…euh…oui. Elle me plaît beaucoup.
- Merci…Tu m’aides à la mettre dehors ? Mme Meutler veut que je la place devant
l’entrée, sous l’auvent. »
D’un mouvement vif, il hocha sa tête positivement et se rapprocha de la
crèche. Les êtres qui la peuplaient semblaient s’être tus à l’arrivée de la
jeune fille. Peut être était-ce un tour de son imagination, mais pendant le
trajet il sentit le regard de la jeune femme penchée au dessus du berceau.
Dehors, il s’était arrêté de pleuvoir, mais le ciel était toujours gris et
menaçant. Ils posèrent le tout sur une table préalablement aménagée et
reculèrent pour admirer le résultat. La faible lumière qui parvenait à traverser
les nuages offrait une vision assez étrange de la crèche. Des formes mouvantes
étaient apparues et de grandes ombres se projetaient sur le fond de l’étable.
Juste à cet instant, il se mit à neiger, ce qui rendit la scène encore plus
merveilleuse, plus étrange. Le premier flocon était tombé sur le nez de la
jeune fille, provoquant en elle une série de gloussements étouffés. Même Kyle
ne put s’empêcher de sourire.
Un léger coup de vent envoyer quelques flocons sur le toit de la crèche.
C’était la touche finale.
« Au fait, je m’appelle Emma. »